Strange meeting (Charlie & Eros)

Le travail de barista se transformait le soir plus en travail de barman. Ce n’était pas pour déplaire à Eros. Faire des cocktails, ça a quelque chose de très satisfaisant, c’est un peu comme peindre avec les alcools et jus de fruits. Cela lui plaisait bien ! Et puis, la clientèle était majoritairement sympathique, donc il n’avait pas trop à se plaindre. C’est sûr qu’il aurait préféré trouver un travail qui mette en action ses talents plus artistiques, mais on fait comme on peut, hein ! Déjà, il se sentait incroyablement chanceux d’être en vie et en pleine santé. Tout le monde n’avait pas cette chance. Alors il souriait à la vie. Il la mordait à pleines dents ! Enfin, pas trop les soirs de pleine lune, il essayait de ne pas croquer d’autres gens ! Bref. Tout ça pour dire qu’il était content d’être là, de donner le sourire aux client.e.s. La soirée touchait à sa fin et le restaurant commençait à se désemplir, lui permettant de souffler un peu.

Il s’occupait de ranger une partie des verres propres quand un homme s’installa au bar. Il lui lança un sourire pour lui indiquer qu’il l’avait vu. Puis une fois les mains libres, il s’était rapproché de lui pour prendre sa commande, toujours un doux sourire sur les lèvres.

“Bonsoir ! Bienvenue au Spice Street ! Qu’est-ce qui vous ferez plaisir, monsieur ?” demanda-t-il avec entrain.

Quand il était derrière le bar, sa timidité était moins prégnante. C'était un peu comme jouer un rôle, on est pas vraiment soi derrière le bar. On est cette personne que tout le monde voit mais qu’on ne connait pas vraiment. Une figure rassurante plus qu’un individu réel pour les client.e. Du coup, c’est bien moins intimidant que dans plein d’autres situations que d’être souriant et avenant. Et puis, c’était son job de donner envie aux gens de revenir, non ? Son regard bleuté parcourait le visage de l’homme et… Il ne fallait pas être devin pour voir que l’homme n’était pas en très grande forme. Il se mordilla la lèvre, ayant un peu peur d’outrepasser son rôle mais… Tant pis, au pire l’homme se plaindrait à sa direction.

“Est-ce que ça va aller, monsieur ? Je m’excuse si je suis indiscret mais… Vous n’avez pas vraiment l’air dans votre assiette… Vous pouvez m’en parler si vous voulez… Vous savez, on est habitué quand on est derrière le bar à écouter…” dit-il d’une voix plus douce, un peu moins commerciale et formatée que sur sa première tirade.

Son regard était un peu inquiet, parce qu’il pouvait ressentir la détresse de l’homme sans même qu’il ait à parler. C’était presque comme si une aura de tristesse l’entourait. C’était extrêmement déroutant. Et puis, il y avait cette forte odeur d’alcool qui émanait de lui. C’était sûrement imperceptible pour un humain, mais ça piquait ses narines de loup, cette odeur de whisky. Il aurait eu envie de lui servir un verre d’eau avant toute chose, mais ça aurait sûrement été très vexant pour l’homme alors… Il se retint.

Aujourd'hui Illona aurait dû fêter son anniversaire. Elle qui avait toujours hâte de prendre un an de plus pour bien nous prouver qu'elle n'était plus une enfant, ne pouvait plus le faire. Et ça me faisait particulièrement mal. Normalement Elias est toujours là lors des dates clefs, mais pas cette fois. Il avait peut-être peur que je fasse une connerie, et j'y avais déjà pensé, mais je ne l'avais jamais fait. Je sais que la vie est précieuse et qu'on n'en a qu'une seule. Alors je fais avec, il y a des jours plus facile que d'autres. Mais ce soir, le silence et la solitude que je ressens dans cet appartement sont particulièrement intenses et insupportables. Alors j'ai fait ce que je savais le mieux faire dans ces cas-là, noyer mon chagrin et ma peine dans l'alcool. C'était mieux que rien après tout. Les bars de cette ville, je les connaissais à peu près tous et si je n'avais pas encore passé la porte de certains, c'était sans doute parce que c'était trop loin de chez moi ou que l'ambiance ne me plaisait pas par exemple. Et la tournée des bars habituels commença. Les verres défilent et mon taux d'alcoolémie grimpe petit à petit. Mais pas assez pour oublier quel jour on est. Je ne savais pas en l'adoptant, tout comme Eliott avant elle, que j'en souffrirais autant. Cela dit à l'époque, cette guerre n'était pas à l'horizon. Bon, il faut que je change de bar et de quartier.

Me voilà dans le quartier humain. Je n'y vais pas souvent, préférant celui des sorciers ou des vampires. Mais plus par flemme qu'autre chose, je devais bien l'admettre. Et puis je vois l'enseigne de ce bar. Pourquoi pas ? Je pousse la porte, il y avait un peu de monde, je ne sais même pas quelle heure il est en réalité. Une fois assis au bar, j'entends une voix, mais je suis trop perdu dans mes pensées pour y prêter réellement attention. Je n'arrête pas de repenser à cette vie qui n'était plus et me demander pourquoi est-ce que ça nous était arriver à nous. Parce que je sais que Judith en avait aussi souffert. Peut-être même encore aujourd'hui, mais je n'en sais rien vu qu'on ne s'est pas reparler depuis son retour en ville il y a peu. Et puis j'entends de nouveau cette voix, plus proche, plus réelle et je lève les yeux vers la personne. Et l'espace d'un instant, je ne parviens pas à croire ce que j'avais en face de moi. J'eus le réflexe de reculer, mais étant assis sur un tabouret, je tombe par terre. Je me relève rapidement. " Mais ce n'est pas... Eliott ... ? Tu es mort. Tu ne peux pas..." Être en vie et ici. Je secoue la tête, pensant que l'alcool me donne des hallucinations, mais rien n'y fait. " Je suis mort et en enfer, je ne vois que cette solution..." Ouais parcde qu'on ne peut pas dire que je suis un modèle pour l'humanité et en même temps, je ne crois pas en l'existance de Dieu ou d'un dieu, alors c'est possible ? Je n'en sais rien, je ne comprends pas ce qui se passe. Eliott était là, devant moi, alors que je sais que c'est impossible. C'est impossible.

L’homme en face au comptoir semblait vraiment alcoolisé et paumé. C’était clairement ce qu’Eros pensait sans jugement. Et quand il releva il eut un mouvement de recul qui surprit le barista, et lui fit même avoir un sursaut avec le bruit de chute. Olala. ça allait vraiment être compliqué avec cet homme visiblement. Il était déjà penché au dessus du bar pour voir si l’homme arrivait à se lever que l’homme était remis sur ses pieds et commencé à tenir un discours qui parut de prime abord très incohérent à Eros. Eliott ? Qui était Eliott ? Il regarda derrière lui comme pour vérifier qu’il n’y avait que lui face au client. Et la suite fit hausser un sourcil au blondinet. Comment ça mort ? Mais qu’est-ce qu’il racontait ? Il fallut quelques secondes à Eros pour recoller les morceaux du puzzle que l’homme lui offrait avec ses bribes de discours. Ok. S’il comprenait bien, il ressemblait à un mort ? Pas très réjouissant mais au fond, c’était pas une chose impossible ?

“Pardonnez-moi monsieur, mais il y a une confusion… Je m’appelle Eros…” commença-t-il doucement pour essayer d’apaiser les tourments de la personne face à lui.

Il attrapa un verre d’eau et le posa devant l’homme avec rapidité. Il valait mieux qu’il fasse une petite pause sur l’alcool pour reconnecter avec le réel et l’incongruité de la situation sans doute.

“Vous me semblez bien vivant, et je le suis aussi. Vous pouvez serrer ma main si vous voulez vérifier.”

Il tendit sa main sur le comptoir, pour laisser la possibilité à l’homme de se rassurer. C’était une situation inédite pour lui. C’était la première fois qu’on le prenait pour un mort… Clairement, il avait tout fait pour justement ne pas l’être. Les seuls actes qu’il regrettait avaient été fait dans le but de survivre. Alors il était bien heureux d’être en vie, oui.

“Je dois juste ressembler à la personne que vous connaissiez, monsieur… Je suis désolé…” dit-il toujours avec douceur. “Il semblait beaucoup compter pour vous… Je suis vraiment désolé de ne pas être cette personne…”

Il pouvait comprendre la perte. Il avait lui-même perdu ses deux parents alors… Il comprenait la douleur de l’absence. Le manque. Et la peur de l’oubli. Il ne se souvenait même plus vraiment du visage de son père. C’était sans doute quelque chose que l’homme pouvait craindre. Peut-être même qu’il ne ressemblait pas tant à ce Eliott… Peut-être que ce n’était que ce qu’il voulait voir de lui. Ou alors il était vraiment le sosie d’un jeune homme mort. Et c’était franchement bizarre comme situation. Il avait beau savoir qu’on avait probablement tous un sosie dans le monde, c’était super étrange d’apprendre que son sosie s’était appelé Eliott.

“Mais… Je termine bientôt mon service, je pourrai vous raccompagner chez vous. Vous semblez un peu perturbé, je m’en voudrai qu’il vous arrive quelque chose sur le trajet retour…”

Et peut-etre qu’en marchant au calme l’homme se sentirait plus à l’aise pour parler. Sans doute que c’était un peu inconscient de proposer ça à un inconnu mais sa tristesse était si tangible, ça aurait été difficile de le laisser seul sans avoir l’impression de ne pas prêter assistance à une personne potentiellement en danger.

J'étais en train de rêver, ce n'est pas possible autrement. Eliott ne pouvait pas se trouver devant moi actuellement, puisqu'il était mort. Il l'était et je savais que c'était le cas parce que j'avais vu son corps. Alors ce qui se passait n'avait pas le moindre sens. Et pourtant, j'avais bien envie d'y croire, même une seconde. De croire que je m'étais trompé, que mon garçon était bien vivant parce que ça ferait partir une énorme partie de cette culpabilité que je porte depuis des années maintenant. C'était si beau, trop beau pour être vrai et alors que je me relève, c'est bien son nom qui s'échappe de mes lèvres. Eliott. Plus jamais j'adopterais des gosses, plus jamais je ne prendrais d'apprentis, c'est trop dur et trop douloureux. J'avais juré cela devant Elias, devant Judith, devant les sorciers qui composaient alors mon coven. Et ça a été d'autant plus vrai après la mort d'Illona. A tel point que je me demandais ce que j'avais bien pu faire pour mériter autant de souffrance en si peu de temps. Mais les choses sont ce qu'elles sont et ça fait mal. De le voir et en admettant que ce ne soit pas Eliott de voir quelqu'un qui lui ressemble à ce point. Ce dernier me reprend et me donne son nom. Eliott, Eros, pas tout à fait la même chose, mais mon esprit embrumé par l'alcool et par tout ce que cette vision apportait, n'y voyait plus très clair. Ce dernier me tendit le bras et assez timidement, je le touche et cet espoir assez vain qui avait germé dans mon esprit explosa en plein vol.

La déception est grande contre toute attente, sans que je ne parvienne à le contrôler. Eliott était mort et je le savais en plus, alors quoi ? Est-ce que j'étais à ce point désespéré que je commençait a le voir partout ? Non, cet homme lui ressemblait beaucoup. Beaucoup trop pour que quiconque ayant connu mon fils ai une réaction similaire à la mienne en le voyant. Est-ce que Judith avait croisé sa route ? Par tous les dieux, j'espère que non, enfin elle serait venu m'en parler. Je crois. Je sais qu'elle est en ville, mais on s'évite soigneusement pour le moment. " Mon fils, c'est... C'était mon fils adoptif." Alors oui j'y tenais beaucoup. Plus que je ne pouvais le dire d'ailleurs. Est-ce qu'il le savait au moins ? Que j'avais été fier de lui ? Que j'avais toujours été reconnaissant à Elias de nous avoir présenter ? Que j'avais plus appris sur moi-même en le prenant sous mon aile que jamais auparavant ? Je ne sais plus. Il s'excuse et je hausse les épaules. " Vous n'y pouvez rien. C'est... Moi qui devrait m'excuser d'avoir réagit de la sorte. Je ne m'attendais juste pas du tout à... ça." A voir un sosie, c'était presque flippant. Il n'y avait que le timbre de la voix qui les différenciait et encore, c'était discret.

Après a le voir partout, je devrais peut-être arrêter de boire. Mais ça serait encore pire j'imagine. Je n'en sais rien et je crois que je ne veux pas le savoir dans l'immédiat. Ce dernier s'adresse de nouveau à moi et propose de me raccompagner chez moi. Je hausse les épaules, je suis soudainement las et fatigué de toute cette situation. J'avais surmonté bien des pertes, mais celle d'Eliott et de sa soeur féerique me semble impossible. Elias avait perdu pas mal d'apprentis bien avant moi et pourtant, il n'avait jamais renoncé. Je ne sais pas si j'en serais capable un jour. Pas pour l'instant en tous cas. " Je suis sûr que vous avez mieux à faire de votre soirée que de vous occupez de moi." Je soupire légèrement. " Mais si vous avez rien de mieux à faire, pourquoi pas." Je ne sais pas ce que je suis en droit d'attendre de cette situation. Si elle est inédite pour lui, elle l'est aussi pour moi. " Je peux avoir un café ? Je crois que j'ai assez bu pour ce soir." Autant ne pas lui faire une trop mauvaise impression non plus. Une fois servis, je me mets dans un coin et j'attends, remuant mon café, le regard dans le vide, comme si j'étais ailleurs. Perdu dans mes souvenirs.

Le contact de la main de cet homme sur la sienne avait le goût de l’étrangeté. Tout comme cette situation. Il ne pouvait que sentir le désarroi. La déception. Il ne pouvait pas être cet être disparu. Il en était désolé. Il n’était que lui. Qu’un gamin un peu paumé dans un nouveau monde. Désolé. Il ne pouvait pas être ce fils perdu. Mais il imaginait la douleur de ce père. Il imaginait comme cela devait être troublant pour lui. Ressemblait-il à ce point à son enfant ? Il avait des doutes mais bon, il ne pouvait pas trop se rendre compte. Il n’allait pas demander à l’homme une photo de son fils pour en juger.

“Vous auriez difficilement pu vous préparer. Je suis vraiment désolé pour votre fils.”

Il ne faisait que s’excuser, mais il ne voyait pas trop ce qu’il pouvait faire de plus. Il n’avait pas été plus préparé à cette situation. Cet homme avait l’air tellement fragile psychologiquement. Si proche du gouffre. C’était difficile de ressentir sa peine. Et pire encore de la comprendre pour avoir été déjà à la place de celui qui reste. Il connaissait trop bien le deuil.

“Pas vraiment, non. Je n’ai rien de mieux à faire.” dit-il avec douceur.

Il se serait surtout senti coupable de ne rien faire pour soulager un peu cet homme de sa peine.

“Je vous prépare ça. Je pense que c’est sûrement une bonne décision, oui.”

Il ne voulait pas lui faire remarquer qu’il sentait déjà fortement l’alcool mais… Ses sens de loup étaient vraiment attaqué par l’odeur de Whisky. Il préférait de loin l’odeur du café, son fumée un peu noisette, l’odeur de grillé de la torréfaction. C’était des odeurs qui agressaient bien moins ses naseaux. Il prépara donc un bel allongé à l’homme, et lui sourit avec compassion. Il n’avait qu’un peu de vaisselle à faire avant de quitter son poste. Il finit par attraper son sac et sa veste rangés derrière le bar et revint vers l’homme.

“J’ai fini, si vous voulez toujours, je vous raccompagne. J’ai oublié de vous demander votre prénom… Si vous êtes d’accord pour me le donner…”

Il attendit l’homme et sortit avec lui. L’air était plus frais dehors. Il ferma sa veste. Il n’attrapait plus froid mais il avait toujours ses réflexes d’humain à la santé fragile. On ne change pas complètement…

“Si vous voulez parler un peu… Je… Je peux vous écouter… Vous avez l’air d’avoir vécu beaucoup de choses difficile et… Enfin… Je vous comprends un peu… J’ai… j’ai perdu mes parents… Je crois que je vous comprends un peu… Même si… J’imagine que perdre un enfant est moins dans l’ordre des choses…”

Il se sentait un peu maladroit, sa voix chevrotante. Ses mots butant un peu contre ses lèvres. Il n’était pas loin de retrouver son bégaiement tant la situation lui paraissait inconfortable et les mots si emmêlés dans sa tête.

“D.D.D.désolé si je suis ma…ma…Maladroit…”

Ah bha voilà, le bégaiement s’invitait.

La douleur était présente et la déception aussi, mais il n'y pouvait rien. Moi non plus, c'était juste la vie, c'était comme ça. Je devais vivre et accepter le fait que cette guerre m'ait enlevé mon fils, puis ma fille et ensuite l'une des seules femmes que j'ai aimé. Oh Judith était toujours vivante, heureusement, mais nos rapports étaient complexes. Cette guerre nous avait changés, l'un comme l'autre et nous n'avions pas fait le deuil de la même manière. Enfin moi je ne l'avais pas fait. C'était encore pire. Je ne vais même pas essayer de croire que j'ai commencé le processus, parce que c'est faux. J'ai eu bien des pertes dans ma vie, ces deux-là me donnaient l'impression d'être à moitié mort et que je ne survie que par miracle. L'auto destruction qui va de pair avec ma souffrance depuis le dernier jour de la guerre est un bel exemple. Je vais mal, mais je suis bien trop fier pour demander de l'aide. Ou alors borné. L'un ou l'autre ne changera rien à la situation. Eliott est mort et ce jeune homme, bien qu'il lui ressemble beaucoup n'est pas lui. Une fois cette vérité qui fait mal imprimée dans la tête, je me reprends, du moins, j'essaye. " Et moi donc..." Ils ne méritaient pas de mourir, ni l'un ni l'autre. Le monde se serait mieux porté si j'avais péri à leur place, mais il faut croire que mon heure n'était pas encore venue. " Ne vous excusez pas, vous n'y êtes pour rien." Cette détresse, cette faiblesse, ce n'était pas moi. Ce n'est pas moi. Je ne suis pas comme ça en temps normal, tout le monde le dirait. J'en ai connu des conflits, j'ai survécu par deux fois à Edom et je suis là, à pleurnicher parce que j'ai perdu mes enfants. Alors que j'ai perdu 95% des mages de mon coven de la Nouvelle-Orléans. Ca me fait chier aussi, mais c'est pas pareil. C'est peut-être pour ça que Dieu - s'il existe - m'a puni. Pour être un connard. Il a mit le temps et il a bien choisi son moment...

Il propose de me ramener chez moi, je n'accepte pas réellement, mais ne refuse pas non plus. Il a certainement mieux a faire que de s'occuper de l'ivrogne du coin qui l'a prit pour son fils. Mais ce dernier m'apporte un café, j'avais assez bu pour ce soir de toute façon. Même si j'étais loin des taux de l'ordinaire, mais cette rencontre m'avait chamboulé. Assis dans un coin, l'esprit ailleurs, je ne vois pas le temps passer et quand il revient vers moi, je n'ai pas bu mon café qui doit être froid. Je relève les yeux vers lui et réponds à son sourire du mieux que je le peux. J'ai rassemblé mes esprits, même si c'est toujours perturbant. Je hoche la tête et avale mon café froid d'une traite et lui emboîte le pas.  " Charlie et toi ?" Je pourrais le vouvoyer, mais il a l'âge de mon gamin, c'est compliqué. L'air frais me fait du bien et j'inspire longuement. Je suis en vie et je sais que j'ai de la chance de pouvoir compté parmi cette infime partie du monde obscur à avoir survécu. Je pourrais, si le prix à payer n'était pas aussi fort en ce qui me concerne. Parfois, je préfèrerais être mort, parce que les morts, ça ne souffre plus. Puis je pense à Judith, à ma rivale Olympe qui ne pourrait plus me charrier comme elle le fait si bien. Alors je reste, je verrais combien de temps j'arrive à m'accrocher dans ce monde.

Il prend la parole et je lève les yeux au ciel. Ah çà, pour avoir vécu des choses, je crois que je pourrais remplir dix volumes. Mais ce n'est pas de ça qu'il faisait allusion. J'eus pourtant un léger rictus sur les lèvres, mais pas moqueur.. " J'ai aussi perdu ma mère, il y a longtemps. Quand à mon père... C'est compliqué." Je l'aurais tué sans l'intervention d'Elias. Il commence a bégayer et je pose les yeux sur lui une fois de plus. " Respire, je ne vais pas te manger, ni te faire de mal." Je soupire longuement avant de reprendre. " Eliott était un sorcier tout comme moi. Il n'aurait pas dû mourir avant plusieurs siècles, mais cette guerre ne lui a laissé aucune chance. Pas plus qu'à ma fille." Pourtant, il n'était jamais venu sur la ligne de front, mais le combat était venu à lui et je n'avais rien pu faire. Mais des histoires comme ça, on peut en entendre des centaines. On a tous perdu un fils, une fille, un frère une soeur, un parent ou un proche dans cette guerre. Mais rien ne pouvait changer ce qui était. Et j'emmerdais profondément les gens qui me disaient qu'il fallait que j'apprenne à vivre avec ce fardeau. " Comment tu as fait toi ? Pour accepter la mort de tes parents ?" La question se pose.

Charlie. Ce n’était clairement pas le genre de prénom qu’il imaginait pour un sorcier. Il se serait attendu à quelque chose de plus vieillot. Mais en même temps, c’était un peu cliché. Il connaissait encore si peu de chose sur le monde obscur qu’il raisonnait encore beaucoup par idée reçue.

“Moi c’est Eros.”

Quelque part, son prénom faisait plus daté. Il ne fit pas remarquer qu’il l’avait déjà donné. Peut-être que l’homme avait oublié vu comme il avait été choqué. Ce n’était pas impossible; Et puis, ça ne faisait rien qu’il ait oublié. La situation était trop étrange pour qu’il se sente vexé de quoi que ce soit.

Il eut un regard désolé en apprenant qu’il avait aussi perdu sa mère, et visiblement pas une bonne relation avec son paternel. C’était un démon ? Il aurait bien demandé mais il n’osait pas trop. Sans doute un peu trop intimidé par l’homme. Et puis, il avait aussi peur de faire une bourde et d’être trop intrusif.

“J.j.je sais… C’est juste… J.J.J’ai parfois du mal à parler…”avoua-t-il en ayant du mal à maîtriser son bégaiement.

Il ne fut pas trop surpris d’apprendre que son sosie était un sorcier. Et la cause de sa mort aussi. Il se mordit la lèvre, peut-être un peu honteux de s’être lui caché comme un lâche au moment de la guerre. Ce n’était sûrement pas juste qu’il soit en vie et le fils de cet homme, non. La vie est rarement juste.

“J..Je suis désolé… Pour vos enfants…”

Perdre un enfant devait être dur, mais deux, c’était assez inimaginable. La douleur qu’il devait vivre. Cela devait être vraiment terrible. Et rien ne pouvait vraiment être fait pour le soulager. C’était vraiment triste. Il se sentait tellement démuni face à la détresse de l’homme. Il ne s’attendait pas à la question qui suivit. Les questions qui suivirent. Comment il avait fait ? Il ne savait pas trop. Il prit quelques secondes de réflexion, son regard oscillant entre ses pieds, et le ciel.

“Je… Je ne sais pas trop… M.m.m.mon père est mort quand j’étais… assez petit. J’ai… J’ai peu de souvenirs… C’est… C’est un peu triste mais… Je me souviens même plus de… De sa voix…” confessa-t-il un peu honteux. “Et… maman…”

Il eut un petit soupir. Sa mère. Il n’avait peut-être jamais complètement fait son deuil. Ses yeux trahissait son émotion de part leur humidité.

“J.J.je sais pas si j’ai accepté sa mort… Je… Je ne pouvais pas… Soigner son cancer…. Et… J… Je savais pas que la magie aurait pu… N…Ni une transformation…”

Il aurait aimé le savoir plus tôt qu’il y avait une petite chance, comme pour lui. Mais on ne refait pas le passé. Il se mordit les lèvres un peu nerveusement.

“M…M…Mais j’imagine que… C’est plus normal de perdre sa mère que son enfant… E…Elle ne m’a pas vu… à nouveau malade au moins…”

Il essuya son nez et ses yeux un peu machinalement, en prévention des larmes qu’il sentait monter. Changer de sujet serait sûrement plus sage. Vite. trouver quelque chose de plus joyeux à dire. Une belle chose. Quelque chose qui puisse détourner l’attention.

“A…Au moins maintenant j’ai une santé de fer ! Les sorciers aussi, non ? V…Vous êtes aussi forts que nous ?”

Oui, parce que ça devait être quelque chose d’évident qu’il était un loup. Les sorciers devaient avoir plein de pouvoirs magiques trop cools pour savoir ce genre de choses, non ? C’était une fois de plus l’idée qu’il s’en faisait, à tort ou à raison. Il savait qu’ils pouvaient même soigner les blessures d’alpha, c’était pas rien quand même !

Il y avait pas mal d'avantages à être né sorcier et il y avait un principal inconvénient, mon père démoniaque. Puisqu'il ne s'agissait pas de n'importe quel démon, son nom était connu des hommes et craint de surcroit. Parfois je me demande ce qu'aurait été ma vie sans lui. Je serais mort depuis longtemps, mais je n'aurais sans doute pas vécu ce que je vis actuellement. Encore que ce n'était même pas sûr. Et si c'était le karma qui venait me faire payer mes erreurs passées, alors le prix était trop élevé. Mais dans tous les cas, c'était comme ça et je ne pouvais pas revenir sur ce qui est. Mais ce jeune homme, Éros, c'est tellement flagrant la ressemblance que ça me fait mal. Mais je sais aussi que ce n'est pas mon fils et je suis désolé pour lui de devoir me supporter dans cet état. Je vais mal et je le sais, mais je ne sais pas comment aller mieux, c'est assez problématique. Il se met à bégayer et je le rassure sur le fait qu'il ne va rien lui arriver de mal. Je sais que je peux être intimidant, mais clairement, la, je ne suis pas dans le bon mood pour faire peur à qui que ce soit. " Tu étais plus à l'aise tout à l'heure, je me trompe ?" Si c'est le cas, je ne lui en voudrais pas.

Il dit ensuite être désolé pour mes enfants. J'inspire légèrement. D'un côté je sais que je ne les ais pas assez protéger, mais je n'avais pas pu faire mieux. Eliott était mort parce que je n'avais pas été là et Illona était morte parce qu'elle voulait me retrouver ou retrouver sa mère. La vie est rarement juste et j'aurais préféré mourir à leur place, mais c'est comme ça et il fallait que je l'accepte. Un jour peut-être, mais pas maintenant. " Merci, c'est gentil." Puis je lui demande comment il a fait pour faire son deuil et je vois que la question le surprends. Je lui laisse le temps de réfléchir, restant silencieux, quelque peu perdu dans mes pensées, essayant de les mettre en ordre un petit peu.  Il explique alors qu'il avait perdu son père tout petit et qu'il ne se souvenait même plus du son de sa voix. J'eus une légère grimace. En réalité, je ne me souvenais pas non plus de la voix de ma mère et encore moins de son visage. Je me rappelle juste les boucles brunes et l'odeur de sa peau, un mélange entre transpiration et de sauge. Et c'est elle qu'on a accusé d'être une sorcière. C'est elle qui est morte comme d'autres femmes ce jour là. Je revois encore le balancement de son corps au bout de la corde.

" Elle était malade ?" La question se pose, mais il y répond assez rapidement. Et je comprends que lui aussi l'avait été. Comme quoi, la vie parfois. Je soupire légèrement et reprends. " On est plus résistants oui, sans doute à cause de notre côté démoniaque. Mais je sais que les loups ont tous une santé de fer, c'est sans doute ce qui vous a sauvé." Enfin, je ne sais pas, je ne le connais pas et les rares loups que j'ai rencontré, ça ne c'est pas toujours bien passé. " En revanche, physiquement, vous êtes plus forts que nous, c'est pas discutable." Il fallait bien des aventages à être un loup-garou après tout. Est-ce qu'il a choisi de le devenir ou est-ce que ça lui a été imposé ? Bonne question.

Plus à l’aise tout à l’heure ? Oh… Pas vraiment. C’était déjà très étrange, mais au moins, il était dans un environnement familier. Là, c’était plus compliqué.

“P..P…Peut-être ? C… C’est juste que… que j’étais sur mon lieu de… de… De travail… C’est… C’est un lieu qui me rassure.”

Et puis, son bégaiement revenait quand même assez vite quand on bousculait ses habitudes. Ou quand il était face à un interlocuteur qu’il connaissait à peine. De là à dire qu’il était mal à l’aise, c’était peut-être un peu exagéré. Il se mordilla un peu la lèvre. Ok. Peut-être qu’il était quand même un peu nerveux avec l’intensité de la conversation. Il acquiesça. Oui, sa mère avait été malade. Le cancer, c’était un peu l’héritage familial.

“O…Oui… J’ai… j’ai guéri dès que… Que je me suis transformé… C…C…C’était inespéré… U…u….. Une bénédiction en… en quelque sorte…Pa…parfois… Les accidents o…ont du bon…”

Il fit un petit sourire à l’homme. Il lui mentait. Ce n’était pas un accident. Il s’en voulait tous les jours d’avoir fomenté ce plan. Il se sentait toujours coupable. Cela ne changera sûrement jamais. Il s’en voudra. Encore et encore. Mais il ne pouvait pas avouer sa faute. Il ne pouvait pas dire à Alekseï que tout était de sa faute. Qu’il avait fait cela pour sa survie. Parce qu’il n’avait plus rien à perdre et qu’il était terrorisé à l’idée de mourir aussi jeune.

“Oh… J…J…je connais pas beaucoup de sorciers… J… Je croyais que vous étiez plus forts que nous… Enfin… J… J’imaginais…”

Il devait paraître un peu naïf et idiot. En même temps, il l’était un peu. Il se mordilla la lèvre.

“je…Je dois paraître un peu… idiot… Là…” avoua-t-il doucement. “Je… Je connais pas grand chose…”

Et en même temps, tout le monde devait paraître un peu idiot aux sorciers, non ? Ils vivaient tellement longtemps, ils devaient savoir tellement de choses. Comment ne pas trouver tout le monde insipide ? Il se posait vraiment la question. C’était sûrement étrange de vivre si longtemps… Il ne voulait pas mourir jeune, mais il ne voulait tout de même pas vivre des siècles. Cela devait être assez terrible quand on y pense.

“V…V…Vous devez savoir plein de choses… En…En étant sorcier… Vous.. Vous avez connu… des… des gens qui ont marqué l’Histoire ?”

C’était une question parfaite pour partir sur une discussion plus légère. Plus facile à tenir. Et peut-être que cela lui changerait un peu les idées ? C’était comme une tentative de diversion ? Quelque chose comme ça. Il tenta un petit sourire, doux, apaisant. Il voulait juste poser un peu de tendresse comme un pansement sur le coeur de cet homme dévasté.

Ouais la réponse est logique. S'il est dans un lieu qui le rassure, alors évidemment, il sera plus à l'aise et son bégaiement moins prononcé, voire inexistant. J'eus un sourire devant cette évidence même. Il est normal au vu de la situation actuelle que ce sentiment fonde comme neige au soleil. Après c'est peut-être la discussion en elle même qui est problématique, ou le fait de raccompagner un alcoolique chez lui. Ouais très certainement. Mais je n'ai pas toujours été comme ça. Enfin j'aimais boire, mais pas autant et pas aussi souvent. Ah ! la descente en enfer à cause de cette guerre et de tout ce que cela à entraîné. C'est franchement moche et ce n'est que la partie émergée de l'iceberg en réalité. Et tant qu'on est dans la légèreté, j'apprends que sa mère était malade, tout comme lui apparemment. Je n'ai que peu souvent à faire aux loups, mais de ce que j'ai compris, les transformations sont assez douloureuse, surtout les premières. Mais il faut bien que chaque race ait des avantages et des inconvénients, sinon c'est pas marrant. Nous, notre principal problème à part l'ego, c'est la partie démoniaque. " Une chance pour toi alors. C'est bien si ça t'as guéri en tous cas." Bah ouais parce que j'étais peut-être un connard, mais je ne souhaite pas aux gens de mourir... Quoi qu'il doit bien y avoir une exception ou deux.

J'eus un léger rictus à ses dires. " De ce que j'ai pu voir, vous avez la force, la puissance. Nous on a la magie, mais elle n'est pas inépuisable non plus. Après de la à dire qui sera le plus fort en affrontement, je ne saurais te dire, ça dépent de pas mal de facteurs. Et cela serait chiant à expliquer. Mais ne contrarie pas un sorcier, ils sont du genre susceptible et tu finirais maudit sans savoir exactement pourquoi." Une bonne mise en garde ça. " Et tant qu'à faire, ne t'approche pas non plus des vampires, ils ne vous aiment pas des masses." Il avoue ne pas connaître grand-chose à notre monde. " Je suis né avec la magie, mais il m'a fallu des années pour comprendre ce que j'étais. Le monde obscure est vaste et même si j'ai déjà bien vécu, je n'ai pas tout vu non plus." J'eus un léger haussement d'épaules, comme si au final, personne ne pouvait clamer haut et fort qu'il connaissait ce monde sur le bout des doigts. J'ai beau m'approcher des trois cent cinquante ans, je ne sais de ce monde que ce que j'ai bien voulu voir et percevoir.

Sa question suivante m'arrache un rire amusé. " Petit, je suis âgé de plus de trois siècles. Ce qui pour toi est âgé et pour les sorciers qui restent, je suis dans la moyenne. J'ai vu et connu toutes sortes de personnes et crois moi ce ne sont pas les plus célèbres sont les plus hauts en couleurs." Je reste silencieux, pensif même. " J'ai connu bien des époques, participé de près ou de loin à divers évènements de l'Histoire. Les gens se succèdent les uns aux autres, mais certains marquent plus que d'autres." Ainsi vont les choses.